Article tiré des cours (Rennes 2/DELOUVÉE Sylvain), Lauréat du prix spécial du jury du Festival du Film Universitaire Pédagogique 2012 (FFUP) et du livre « Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale » de Gustave-Nicolas Fischer.

La pensée sociale

Les processus et les contenus de la pensée sont déterminés, influencés par des facteurs sociaux. Les individus peuvent passer d’un mode de pensée à un autre (pensée scientifique à pensée sociale par ex).

Selon Moscovici :

  • La dispersion et le décalage des informations, liées au fait que les interlocuteurs ne diposent pas du même bagage de connaissance ;
  • La focalisation de l’attention liée au fait que chacun s’attache des aspects différents de la réalité en fonction de son intérêt et de son implication personnelle ;
  • La pression à l’inférence qui amène à prendre position rapidement face à ses interlocuteurs pour en obtenir la reconnaissance et l’adhésion.

3 types d’opérations cognitives sont à l’oeuvre :

  • Le formalisme spontané : ensemble d’automatismes, de formules toutes faites, de clichés que l’on utilise dans un échange.
  • Le dualisme causal : tendance à confondre deux formes de causalité
  • Le primat de la conclusion : la conclusion est déjà connue ou posée avant les prémisses.

Disons d’emblée qu’il ne s’agit pas des rapports abstraits à l’autre, pris comme stimulus ou comme partenaire générique.

Il s’agit des rapports en société, avec ce que cela implique de pouvoir, de capacité ou d’incapacité de contrôle, et en général de concurrence ou de conflit.

La pensée sociale, c’est tout simplement celle qui a pour pivot le citoyen (Rouquette, 1973 Collège de France)

La pensée sociale se manifeste de différentes manières et selon diverses échelles de temps.
Il n’existe pas à priori de réalité objective, mais toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par l’individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l’environne.
C’est cette réalité appropriée et restructurée qui constitue pour l’individu ou le groupe la réalité même.

Architecture de la pensée sociale

Il y a une ou des représentations sociales. Elle peuvent se transformer, se créer, disparaître.
Hiérarchie :

Du consensus/stabilité forts (idéologie) :

  • idéologie
  • réprésentations sociales
  • attitudes partagées
  • opinions

Au consensus/stabilité faibles (opinions)

1- La théorie des représentations sociales

1.1- L’inscription des représentations sociales dans la pensée sociale

Emile DURKHEIM : 1898 – Les représentations individuelles et les représentations collectives sont différentes.
Il part du postulat que nous pourrions collectivement avoir des représentations.
La vie collective, comme la vie mentale de l’individu, est faite de représentations.

Représentations individuelles :

  • propres aux individus,
  • pouvaient faire l’objet de variations considérables.

Représentations collectives :

  • partagées par ‘ensemble d’une société,
  • stables et résistantes à l’épreuve du temps.

Les mythes, les croyances, le père noël….

La représentation collective n’est pas la somme des représentations individuelles.
« Si l’on peut dire, à certains égards, que les représentations collectives sont extérieures aux consciences individuelles, c’est qu’elles ne dérivent pas des individus pris isolément, mais de leur concours ; ce qui est bien différent.
Sans doute, dans l’élaboration du résultat commun, chacun apporte sa quote part ; mais les sentiments privés ne deviennent sociaux qu’en se combinant sous l’action des forces sui généris que développe l’association ; par suite de ces combinaisons et des altérations mutuelles qui en résultent, ils deviennent autre chose. »

A l’époque, les guides d’opinion sont : le maire, le curé, l’instituteur. Les femmes ne votent pas. La presse n’est pas encore un journal d’opinion.

Au 20ème siècle, les journaux d’opinion, les médias sont devenus prépondérant dans la pensée collective. Les groupes sociaux ont des perceptions différentes.
« Nous devons au moins reconnaître, que les représentations sont d’une façon ou d’une autre crées et modifiées. Chez Durkheim, cela n’arrive qu’exceptionnellement, dans des conditions extraordinaires[…].
Ce que nous avions dans la tête était les représentations en train de se faire, dans le contextee des interactions et actions. […] Notre but était de comprendre l’innovation plutôt que la tradition, une vie sociale en train de se faire plutôt qu’une vie déjà faite »
(Moscovici, 1988 ; p. 218)

Une représentation sociale s’élabore selon deux processus fondamentaux : l’objectivation et l’ancrage.

Serge Moscivi fera une étude (psychanalyse) basée sur 2265 personnes. Il étudiera particulièrement les catholiques et les communistes.

Les catholiques rejettent la psychanalyse concernant les aspects moraux (libido par ex), l’engagement aux pulsions, la remise en cause de dieu.

Les communistes c’est la sphère politique, l’individualisme et l’ignorance de la lutte des classes qui seront les point de contradictions.

Les représentations des uns et des autres seront différentes.

L’objectivation est le processus au travers duquel on rend concret ce qui est abstrait. Il transforme un concept en une image, en un noyau figuratif. (logo SOS)

1- la sélection et la décontextualisation de certaines informations relatives à l’objet de représentation à partir des normes, valeurs, croyances.

2- la formation d’un noyau figuratif (l’inconscient par ex).

3- et, enfin la naturalisation qui consiste à transformer les concepts abstraits en images.

L’ancrage permet l’intégration de l’objet et des informations nouvelles dans le savoir. Ce processus consiste en l’enracinement de la représentation et de son objet dans le système de pensée préexistant.

Il permet ainsi d’incorporer de nouveaux éléments de savoir dans un réseau de catégories plus familières (Doise 1990 ; p. 128)

1.2- Définitions et fonctions

Pour Jodelet (1989), il s’agit d’une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble sociale.

Selon Abric (1987), la représentation sociale peut être définie comme le produit et processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique.

Selon Rouquette (1997), c’est une façon de voir localement et momentanément partagée au sein d’une culture, qui permet de s’assurer de l’appropriation cognitive d’un aspect du monde et de guider l’action à son propos.
C’est une explication naïve du monde qui va servir à agir ou à se comporter.

Les objets de la représentation peuvent se référer :

  • à des pratiques ou des situations sociales la chasse, le changement technologique en entreprise, la mondialisation…),
  • à des phénomènes naturels (l’intelligence, la maladie, la folie…),
  • à des productions humaines (les droits de l’Homme, l’Euro, l’Europe…),
  • à des catégories de personnes (les gitans, les immigrés).

Pour Moliner (1993), il y a représentation sociale d’un objet si :

  • existence d’un groupe social donné. Ce groupe est caractérisé par de préoccupations semblables, des échanges réguliers et des pratiques identiques vis-à-vis de l’objet de représentation,
  • enjeu de l’objet pour le groupe. L’enjeu d’identité et l’enjeu de cohésion sociale vont placer les individus en situation de pression à l’inférence,
  • la dynamique sociale à l’égard de l’objet,
  • l’absence d’orthodoxie (pas de discussion possible),
  • il existe des pratiques sociales vis-à-vis de l’objet.

Caractéristiques :

  1. Elle est toujours la représentation d’un objet (par une population)
  2. Cette reproduction se fait au niveau concret imageant
  3. Elle a un caractère symbolique et signifiant,
  4. Elle a un caractère constructif, autonome et créatif.

La représentation sociale a 4 fonctions :

  • les fonctions du savoir,
    elle permettent de comprendre et d’expliquer la réalité
  • les fonctions identitaires, elles définissent l’identité et permettent la sauvegarde de la spécificité des groupes,
  • les fonctions d’orientation, elle guident les comportements et les pratiques
  • les fonctions justificatrices, elles permettent à postériori de justifier les prises de position et le comportement.

Contenu et structure

Trois approches :

Approche anthropologique ou socio-anthropologique

Ex : la culture (Kaës, 1968), la santé et la maladie mentale (Herzlich, 1969), l’enfance (Chombart de Lauwe, 1971), le corps et la maladie mentale (Jodelet, 1984, 1989)

But : Examiner le rôle régulateur des représentations sur les interactions sociales où elles interviennent en milieu naturel. Objet qui a un impact fort (mondialisation par ex) par l’intermédiaire d’ entretien, focus groupe, analyse de presse par ex.

Approche des principes organisateurs ou générateurs dite Ecole genevoise (Doise, Lorenzi-Cioldi)

But : Examiner l’incidence de la structure sociale dans l’élaboration d’une représentation.

Doise (1986) définit les représentations sociales comme des principes générateurs de prises de positions liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces rapports.

Principe d’homologie dans la théorie des champs sociaux (Bourdieu, 1977, 1979)

Les représentations seront différentes en fonction de la position sociale de l’individu.

Selon cette approche, l’étude des représentations sociales consiste essentiellement à dégager un savoir commun et à déterminer les principes organisateurs de prises de position en étudiant, notamment, les processus d’objectivation et d’ancrage à l’oeuvre dans les représentations sociales (Doise, Clémence et Lorenzi-Cioldi, 1992).
Ils étudient les groupes et le rapport dominant/dominé (hommes/femmes).

Approche structurale dite Ecole Aixoise, Abric, Flament, Molinier, Guimelli, Rouquette…

But : Analyser la dynamique représentationnelle et ses caractéristiques structurales, notamment en relation avec les pratiques sociales.

On va s’intéresser au contenu mais aussi à la structure (commune) des représentations sociales.

Mise en évidence des invariants structuraux qui permettent de caractériser toute représentation du point de vue de son organisation interne.

Il va falloir dépasser le contenu.

Distinction noyau central / système périphérique :

Le noyau central est l’élément fondamental car il détermine la fois la siginification et l’organisation de la représentation (Abric, 1994).

Ce qui touche au système périphérique dépend de l’environnement.

Par exemple un camion de pompier la couleur rouge sera centrale. Si le camion n’est pas rouge il ne s’agit pas d’un camion de pompier (jaune pour la poste, bleu pour edf…). L’échelle du camion sera périphérique.

Les cognitions centrales se caractérisent par leur aspect consensuel et non négociable, elles sont indépendantes du contexte immédiat et leur détermination relève principalement du contexte sociologique, historique et idéologique dans lequel la représentation émerge, se développe et se propage.

Le système périphérique est soumis à un ensemble de variations interindividuelles et contextuelles. Il se caractérise par sa conditionnalité.

Les cognitions centrales ont un rôle structurant, elles déterminent la signification de la représentation et son architecture, son organisation interne.

Le système périphérique va jouer le rôle d’interface ou de zone de tampon entre le système central et les information ou les pratiques qui seraient susceptibles de le remettre en cause.

Il en découle que, suivant cette perspective structurale, deux représentations sociales d’un même objet ne peuvent être considérées comme différentes que dans le cas où elles se structurent autour de systèmes centraux distincts.

Deux groupes peuvent avoir la même représentation d’un objet de par leur noyau central, mais des schémas périphériques différents – ou inégalement activés – pour des raisons de circonstances, notamment par des pratiques individuelles.

1.3- La distance à l’objet

Elle peut être étudiée sous trois angles :

  • Le rôle du niveau de connaissance,
  • Le rôle du niveau de pratique,
  • Le rôle du niveau d’implication.

Les pratiques sociales :

Flament et Rouquette (2003, p 33) soulignent que pour qu’il y ait émergence d’une représentation sociale, il faut nécessairement l’existence de pratiques commune se rapportant à l’objet présumé dans la population considérée.

Rôle capital dans l’élaboration des représentations sociales

La notion de pratique peut prendre plusieurs sens (Rouquette, 2000)

  • la pratique peut être un passage à l’acte (passage à l’euro par ex),
  • la pratique peut être une récurrence (novice/expert),
  • la pratique peut également être une façon de faire à l’égard de l’objet (manière de faire),
  • la pratique peut être comprise comme un calcul.

L’implication personnelle résulte de trois composantes indépendantes :

  • La valorisation de l’objet : important, pas important par ex,
  • L’implication personnelle (identification) : me concerne, ne me concerne pas par ex,
  • La capacité perçue d’action (est-ce que je peux faire qq chose).

 

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