La connaissance renforce notre système de défense. Elle apporte les moyens de détecter les erreurs, les anomalies, les incertitudes, les manipulations. Mais la bataille contre l’erreur ou l’illusion est une bataille incertaine dont nous espérons sortir vainqueur.

L’actualité (fake news notamment) nous rappelle parfois à quel point l’emballement médiatique peut être source de confusions émotionnelles et de polémiques partisanes.

Il ne s’agit pas ici de porter un quelconque avis¹ mais de rebondir sur l’idée d’une « mémoire retrouvée ». Mais de quelle mémoire s’agit t-il ?

La perception

Elle est une reconstitution de la réalité, plus ou moins fidèle, avec un risque d’erreur. La perception visuelle n’est qu’une représentation de la réalité.

Définition : La perception est une faculté biophysique ou le phénomène physiopsychologique et culturel qui relie l’action du vivant aux mondes et à l’environnement par l’intermédiaire des sens physiologiques et des idéologies individuelles. Chez l’espèce humaine, la perception est aussi liée aux mécanismes de cognition par l’abstraction inhérent à l’idée et aux notions apprises dans la pensée. (Wikipédia)

Le sens visuel ne perçoit pas tout : infrarouge, images >16 im/s…
L’illusion d’optique est aussi une erreur de perception.

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Kanizsa
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melbourne

Il n’y a aucune différence entre une perception et une hallucination.

(Edgar Morin)

Illusion d’optique (immeuble de Merlbourne en Australie)

tabary

La perception des visages est atypique chez des enfants à caractère autistique car ils prêtent leur attention à un point précis de l’image ( ils ne vont pas explorer les yeux dans un visage alors que c’est majoritairement ce que l’on explore).

Un trouble de la reconnaissance (perception) des émotions peut entraîner des troubles de la cognition sociale (agnosie).

Les émotions jouent un rôle très important dans la perception et l’interprétation de l’information. Lorsque les émotions négatives générées sont trop fortes elle peuvent engendrer une attitude d’évitement. Le message dans ces cas là n’est pas du tout perçu. Ce processus n’est pas neutre puisqu’il s’agit déjà d’une sélection et interprétation subjective de l’information. Ces perceptions répétées contribuent fortement à forger une opinion. C’est à dire des prédispositions à juger ce que l’on appelle en marketing des attitudes. Les attitudes peuvent être très différentes, mais des perceptions différentes ne peuvent pas être systématiquement qualifiées d’erreur.

Exemple de stimuli ambigu bistable :

Notre cerveau réduit l’ambiguïté dans un sens ou dans l’autre.

Le doute nous permet de réduire l’ambiguïté. En l’occurrence, il faut noter que cette danseuse est en 2D alors que l’on s’attend à la voir en 3D.

Quand on est confronté à une information, de nombreux mécanismes psychologiques se mettent en marche.

  1. La dissonance cognitive : si ce que je crois est menacé(e) par la science et que je vois tous les scientifiques ou presque s’accorder sur ce sujet, je suis en situation de conflit. Que vais-je faire de mes croyances ? On a tendance à éviter les dissonance. Le doute, le changement d’opinion sont une voie de sortie possible. 
  2. L’illusion de connaissance : si je surestime un sujet parce que j’ai lu quelques articles sur internet, j’aurai tendance à mettre en avant mon opinion au détriment des faits. Moins je me connais plus je me surestime. Plus je me connais, moins je me surestime. (Effet Dunning-Kruger) On parle aussi d’illusion de profondeur explicative (tendance à surestimer nos connaissances d’un sujet : la vaccination, les OGM, etc.).
  3. Le raisonnement motivé : Deux manières de penser : 1) je raisonne comme un détective : je cherche des preuves et j’arrive à une conclusion. 2) je raisonne comme un avocat : je veux défendre mon idée et je vais chercher les éléments qui me donneront raison. Cela entraîne des biais de confirmation, biais de sélection, etc.

Nous vivons dans un monde incertain :

  1. Notre perception est partiale et partielle
  2. Notre attention est limitée
  3. Le monde est complexe.

Notre information est toujours incomplète.

L’illusion sonore

Une gamme de Shepard, nommée d’après Roger Shepard qui l’a créée en 1964, est une gamme jouée avec des sons de Shepard, qui sont des sons complexes synthétiques constitués par l’addition de signaux sinusoïdaux de fréquences séparées par un intervalle d’octave.

Quand la fondamentale parcourt en boucle en descendant ou en montant toutes les valeurs de l’octave −1, cela crée l’illusion auditive d’une gamme qui descend (ou monte) indéfiniment. L’illusion est plus complète si chacune des notes est séparée par un bref silence

La mémoire

Selon Allport et Postman, la mémoire ne se contente pas de stocker les souvenirs et de les restituer tels quels, mais elle les construit, les transforme par :

  • la simplification (de nombreux détails disparaissent),
  • l’accentuation (les détails les plus importants pour le sujet sont majorés),
  • la cohérence (la tendance du sujet à donner un sens à ses souvenirs).

Notre mémoire ne fonctionne pas comme un espace de souvenirs rangés hermétiquement. Il est possible de créer des faux souvenirs, que ce soit par la distorsion de l’événement, la suggestion ou bien par la création de toute pièce d’un événement jamais survenu.

Jean Piaget, victime d’un faux souvenir d’enfance

Le célèbre psychologue, biologiste et épistémologue suisse Jean Piaget, a été victime d’un faux souvenir quand il était enfant, épisode qu’il raconte ainsi dans l’un de ses ouvrages :

« Un de mes plus anciens souvenirs daterait, s’il était vrai, de ma seconde année. Je vois encore, en effet, avec une grande précision visuelle, la scène suivante à laquelle j’ai cru jusque vers 15 ans. J’étais assis dans une voiture de bébé, poussée par une nurse, aux Champs-Elysées (près du Grand-Palais), lorsqu’un individu a voulu m’enlever. La courroie de cuir serrée à la hauteur de mes hanches m’a retenu, tandis que la nurse cherchait courageusement à s’opposer à l’homme (elle en a même reçu quelques griffures et je vois encore vaguement son front égratigné). Un attroupement s’ensuivit, et un sergent de ville à petite pèlerine et à bâton blanc, s’approcha, ce qui mit l’individu en fuite. Je vois encore toute la scène et la localise même près de la station du métro. Or, lorsque j’avais environ 15 ans, mes parents reçurent de mon ancienne nurse une lettre leur annonçant sa conversion à l’Armée du Salut, son désir d’avouer ses fautes anciennes et en particulier de restituer la montre reçue en récompense de cette histoire, entièrement inventée par elle (avec égratignures truquées). J’ai donc dû entendre comme enfant le récit des faits auxquels mes parents croyaient, et l’ai projeté dans le passé sous la forme d’un souvenir visuel, qui est donc un souvenir de souvenir, mais faux ! Beaucoup de vrais souvenirs sont sans doute du même ordre. » (Piaget, 1946, p. 199).

Elizabeth Loftus a quatorze ans lorsque sa mère se noie dans la piscine familiale. Le dernier souvenir qu’elle retient de sa mère avant l’accident est une parole d’amour maternel. Trente ans plus tard, un membre de la famille lui déclare que c’est elle qui a découvert la première le corps de sa mère. Jusque là, elle était persuadée que c’était sa tante. Mais petit à petit, des souvenirs de plus en plus précis, de plus en plus clairs, lui reviennent. Elle comprend mieux sa vie et son intérêt pour l’étude scientifique sur la mémoire. Quelques jours plus tard, son frère lui annonce que l’on s’est trompé dans cette dernière version, que ce n’est pas elle, mais bien sa tante qui a découvert le drame. Plusieurs témoins confirment que cela s’est bien passé ainsi. E. Loftus raconte alors sa déception :
« Quand il s’avéra que ce souvenir n’était qu’une fiction, je fus profondément déçue ; j’éprouvais un étrange attachement au film coloré de ma vérité narrative inventée. Ce faux souvenir m’avait réconfortée, avec sa précision. Il avait un début, un milieu, une fin, il était cohérent. Il avait rempli un vide angoissant : je savais enfin ce qui s’était passé ce jour-là. Quand tout cela se fut évanoui, je me suis retrouvée de nouveau seule avec quelques détails obscurs, beaucoup de morceaux manquants et une douleur passagère. » (Le mythe des souvenirs retrouvés, 1997, p. 69)

 

L’effet de la désinformation

Les informations trompeuses peuvent être à l’origine de faux souvenirs par l’influence de la suggestion ou par la représentation schématique et réductrice d’un évènement remémoré.

La suggestion d’un faux souvenir peut être implantée par une personne :

  • ayant de l’assurance ou représentant une autorité,
  • donnant beaucoup de détails,
  • exprimant de l’émotion en l’instillant.

Elles sont à l’origine de nombreuses erreurs judiciaires.

Selon Elisabeth Loftus, des formes de thérapies particulières peuvent induire des souvenirs erronés ou de faux souvenirs :

  • exercices d’imagination,
  • interprétation des rêves,
  • hypnose,
  • expositions à de fausses informations.

Cette démonstration lui a valu de nombreuses critiques de la part des professionnels du souvenir perdu et un procès retentissant (Affaire Jane Doe).

Pour elle, le risque majeur des thérapies du souvenir retrouvé est de rendre le patient prisonnier de son passé, qui plus est, s’il est faux.

Le cas Franklin

En 1990, George Franklin est condamné à la prison à vie pour le meurtre d’une petite fille, Susan, commis en septembre 1969. Il n’y a pas de preuves, mais un témoin, sa propre fille, Eileen, qui dit avoir vu, dans un flash de mémoire, son père tuant sa petite amie à l’arrière de leur camionnette. Les déclarations d’Eileen ont varié – mais le jury la croit : c’est la première fois qu’une condamnation est prononcée sur la base d’un souvenir refoulé. Franklin passe près de sept années en prison avant que son procès ne soit révisé. Les souvenirs d’Eileen, en fait, lui sont revenus sous hypnose – et les détails qu’elle a donnés avaient tous été publiés dans les journaux. Après son acquittement, Franklin a attaqué en justice sa fille et le thérapeute de celle-ci.

Mais l’implantation de faux souvenirs peut être utilisée, dans certains cas, pour conduire le sujet à rejeter certaines addictions. (E. Loftus)

Ils affectent le comportement longtemps après qu’on les ait installés. Cette capacité à implanter et contrôler le comportement pose d’importants et épineux problèmes éthiques.

Comment convaincre aisément quelqu’un qu’il a commis un crime

Dossier : Manipuler la mémoire (psyblogs.net)

Faux souvenirs et manipulations mentales

Les critères pour différencier les vrais et les faux souvenirs :

  1. La clarté et la précision de leur évocation,
  2. L’émotion qui les accompagne,
  3. La période de la vie à laquelle ils font appel,
  4. La répétition des évènements traumatisants,
  5. L’âge du sujet (les enfants âgés produisent parfois plus de faux souvenirs que les enfants plus jeunes).

Faire ressurgir des souvenirs traumatisants est une arme à double tranchant. Il convient donc d’être prudent lorsqu’on s’engage dans cette voie, tant du côté du thérapeute que du patient.

¹ Je suis cependant « surpris » que l’on puisse mettre en doute l’intégrité morale d’un jury populaire et de magistrats professionnels. Chacun est libre de se faire son propre avis mais deux jugements avec la même sentance nécessite une analyse approfondie  et non des jugements « à l’emporte pièce ». Loin de moi l’idée de nier la violence faite aux femmes et je suis le premier à la dénoncer ; mais il ne faudrait pas confondre émotion et justice, symbole et loi du Talion. Voir article Wikipédia.

Pour aller plus loin :

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