L’engagement radical nous laisse tous perplexe. Comme bon nombre de parents je me pose la question de savoir quels sont les processus de radicalisation qui amènent un jeune (ou moins jeune) à s’engager vers cette voie.

Tous ne portent pas les armes, loin s’en faut (ex : factions italiennes représentant 6%).
La majorité est affectée à des missions logistiques. L’arbre médiatique qui cache la forêt d’une réalité moins héroïque.

Une stratégie de la radicalisation se forge sur un choix qui se réalise sur un calcul coût/avantage fondé sur le critère de l’efficacité.

L’impatience d’agir pour forger (forcer) l’histoire.  Une stratégie de confrontation qui vise à susciter un choc afin de compenser une infériorité (militaire par ex) numérique. La violence devient une ressource à l’action.
C’est un engagement à haut coût et à haut risque sans réelle prise de conscience de l’individu.

Il s’agit d’abord de changer les catégories mentales mobilisées par l’individu pour comprendre le monde, puis, à partir de ces catégories, de redéfinir les frontières habituelles du bien, du mal, du moment où une action violente se justifie pour l’entraîner vers des conclusions radicales et logiques de l’activisme terroriste. (Gérald Bronner)

Le radicalisme un processus qui s’inscrit dans la durée et mettant en jeu, trois temps :
– le temps social,
– le temps de l’organisation,
– le temps biographique de l’individu.

C’est un processus progressif qui se dévoile au fur et à mesure avec un coût de plus en plus important (discrétion, secret, mensonge, isolement mental, épreuve initiatique, vie communautaire, emprise intense,…).

« La pensée extrême serait la combinaison d’une adhésion radicale à des idées radicales et non aux idées trans-subjectives (charge universaliste)  » (Gérald Bronner)

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Podcast : La pensée extrême sur France Inter & Jusqu’où pousser le concept de déradicalisation sur France Culture

Processus (macroscopique / microscopique):

  • Contexte de radicalisation politique / Ressorts de l’engagement ;
  • Mobilisation / Engagement ;
  • Escalade puis Désescalade / Loyauté ou défection.

Mécanisme : Pré-radicalisation – radicalisation – radicalisation violente – désengagement – dé-radicalisation

Trois apports :

  • pas de déterminant ni psychologique ni structurel particulier à ce type d’engagement
  • La radicalisation obéit à des dynamiques de groupe dans un contexte particulier
  • L’engagement radical exerce des effets biographiques plus intenses et plus prégnants (en sortir est donc plus difficile).

Le poids des réseaux de sociabilité et le soutien de l’environnement familial favorise le terrain. Mais il n’est pas obligatoire, le groupe pouvant se substituer progressivement à la famille d’origine.
La compétition entre groupes opposés et/ou de même orientation accentue la force de l’engagement.

L’organisation en petit groupe fournit un support émotionnel et affectif, un sentiment de sécurité qui se renferme au fur et à mesure sur lui-même, l’opposant se transformant en ennemi.

Effet :

  • dépouillement de son identité à travers un nom de guerre,
  • intériorisation de règles de comportement qui sont codifiées avec minutie,
  • le recours à des techniques de mortification,
  • processus de désensibilisation à l’empathie.

L’idéologie s’acquiert au fur et à mesure au sein du groupe.

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Podcast : Radicalisation : comment prévenir et guérir ? sur France Culture

Résultat : passage à la clandestinité avec l’obligation de rester.

Le soutien social permet d’ignorer la dissonance cognitive. Dès lors qu’il y a un moindre soutien, le doute peut s’installer. Ne pas rompre le dialogue pour instiller le doute.

Plus un engagement est coûteux, plus l’individu est enclin à s’y enfermer.
Le matérialisme et le manque de spiritualité des sociétés occidentales favorise la radicalisation religieuse.

 Contrairement aux idées reçues, les candidats au djihad ne sont pas issus des milieux défavorisés.
La plupart, souvent très jeunes, sont attirées par la perspective de trouver le grand amour… ou de rejoindre l’âme soeur qu’on leur promet, via les réseaux sociaux notamment.
Internet est le mode d’endoctrinement repéré dans 91 % des cas, notamment avec des vidéos en ligne et des groupes Facebook invitant à lutter contre des « complots« .
Le passage par la mosquée n’est « pas systématique ».
Les « nouveaux discours terroristes » arrivent à « proposer une individualisation de l’offre qui peut parler à des jeunes tout à fait différents », soulignent les auteurs. Ils ont mis au jour « cinq mythes » efficaces : le « chevalier héroïque » qui fonctionne auprès des garçons, la « cause humanitaire » prisée par des mineures, le « porteur d’eau » désignant ceux qui cherchent un leader, la référence au jeu vidéo de guerre Call of duty pour ceux qui souhaitent combattre, ou encore la quête de toute puissance attirant des personnes « sans limites ». (Rapport transmis à l’AFP)
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L’humiliation et la soif de vengeance

Plusieurs angles émotionnels vont être utilisés : la vengeance, l’humanitaire, un monde idéal où il y a une justice, le respect des diversités. Il y a souvent un profil nihiliste.

Il y a le projet d’une construction sociale derrière tout système radical qui pose des questions sur notre vision de la société. Il y a un discours de rupture (polygamie, meurtre justifié par ex) vers une mission divine. Chacun intériorise cette cause et se l’approprie.

Il peut y avoir un discours de fin du monde et une interrogation à savoir de quel côté se positionner.

Derrière le discours extrème il y a une morale. Oui ! une morale car chez eux la fin justifie les moyens (la morale de l’action). Les épreuves et les rites sont d’autant plus importants qu’ils favorisent une sélection sévère, une conviction importante et un engagement irréversible.

L’émulation et la soif d’imitation

Un mariage sur les réseaux sociaux, un départ pour la Syrie et l’envoi d’une échographie sur les réseaux sociaux peut stimuler et donner envie à d’autres de vivre cette aventure et peut être de finir femme de martyr et mère d’enfants de martyr.

Battage médiatique et discours contre-productifs

Le battage médiatique favorise le radicalisme au lieu de le refréner par contre-effet . La une du Figaro annonce « 8250 individus radicalisés en France » au lieu et place de signalements.

Emission France 2 : Ces jeunes qui partent faire le djihad.

Que dire du projet de loi « Déchéance de la nationalité » ? La stigmatisation fût à son comble et le discours démonstratif du rejet. Du pain béni pour les radilalistes.

La banalisation des acquis féministes.

L’égalité homme-femme a eu tendance à nier les différences. De fait, il laisse une place aux discours paternalistes. Certaines d’entre-elles ne souhaitent pas ressembler aux canons de la publicité.

Le sens de la virilité masculine et l’image du chevalier de la foi.

  • La sexualité étant tabou et/ou si mal enseignée,
  • La pornographie ayant fait de la femme un objet sexuel,
  • Les contraintes pesant sur les épaules des « femmes modernes »,

certaines peuvent être tentées de se laisser porter par une image plus idyllique, plus fantasmatique, moins lourde à porter, mettant le masculin au centre de tout.

Le désenchantement de la politique et des lendemains plus sombres

La parole politique ayant de moins en moins de sens et des lendemains pouvant amener à une régression sociale, philosophique et morale sont des facteurs de désillusion.

La fragilité et la quête d’une spiritualité

Selon Gerald Bronner les jeunes de 15 à 25 ans, en fragilité identitaire et en pratique supersticieuse seront plus perméables au radicalisme. Un individu est caractérisé par un niveau d’accommodement moral qui est considéré par un radicalisé comme une attitude lâche.

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Source CPDSI : Dans le cadre de l’échantillon étudié (234 jeunes désembrigadés en 2015 par le CPDSI)

Un piège qui se referme

La communauté virtuelle est le berceau de ce recrutement discret à l’abri de toute surveillance parentale. Elle scèle, renforce la cohérence, le sentiment d’existence et d’appartenance à cette communauté. Il devient « un remède à l’ignorance humaine ».

L’idéologie peut s’appuyer sur une « utopie altruiste » qui croit défendre une « cause juste ». C’est sur ce fondement et la constitution du groupe que se referme le piège. Il reprend les mécanismes associés aux engagements religieux ou sectaires : « un engagement physique ou spirituel, un dévouement visant à honorer, servir et défendre une parole sacralisée toute puissante ». Il passe par la désacralisation de tabous sociaux tels la mort, la torture, la haine, la violence. La banalisation de la violence et le sacrifice de soi sert une « noble cause presque sacrée » et honore le défunt.

http://www.lcp.fr/emissions/265330-le-jihad-au-feminin

La dé-radicalisation :

  • Un enjeu social : la réinsertion à la vie civile ;
  • Une démobilisation culturelle :
    • déprise de la violence,
    • poussée de l’idéal pacifiste,
    • réhabilitation de l’ennemi.

CAPRI

Dans quelle mesure y a t’il un lien cognitif entre théorie du complot et basculement vers une radicalisation ? à suivre

La dérive sectaire : Tout comme les sectes, les stratégies extrêmes ne dévoilent pas l’intégralité de leurs stratégies au risque de décourager ces hypothétiques adeptes. Ils peuvent aller jusqu’à cacher la vérité pour déjouer les résistances. La manipulation peut paraître grossière ou extravagante mais elle s’exerce pas à pas (cognitivement) dans un système et une échelle de croyances.

La dérive idéologique : Le cas de Dieudonné est intéressant car il explique comment un artiste résolument opposé au Front National en 1997, finit par faire parrainer sa fille par le leader du même parti en 2008 ; comment un militant de « gauche » bascule dans un radicalisme et soutient le Hamas « au nom des victimes de l’esclavagisme et du peuple africain ». (librevent.fr)

L’adhésion par transmission : La culture et l’univers social (famille, entourage) d’un individu incitent de part un monopole cognitif à favoriser les croyances. Dans d’autres cas, il s’agit tout simplement d’un groupe d’amis sans leader charismatique mais dont certains membres se radicalisent et entraînent les autres à leur tour.

Le point de vue dominant et le conformisme : L’expérience de Solomon Asch tendant à prouver que devant la pression du groupe (au delà de trois) un individu peut basculer (changer d’avis pour se conformer à celui des autres). L’ambiguïté renforcera le doute et par conséquent le conformisme. « L’individu a des raisons d’être conformiste…cela lui permet d’éviter les coûts sociaux et/ou matériels d’une attitude déviante » (Homans, 1961).

Les lois de l’offre et de la demande (Marshall, 1906-1909) : La première, dite loi de la demande, affirme que le prix d’un bien augmente de concert avec la quantité demandée de ce bien. La seconde, loi de l’offre, affirme que le prix d’un bien décroît à mesure que la quantité offerte de ce bien est plus importante. La loi de l’offre et de la demande est en fait la conjonction de ces deux lois.

Il y a une variation inversement proportionnelle entre
l’importance de l’offre cognitive perçue par l’individu et le prix du
produit sur le marché. Plus les gens autour de moi sont nombreux à croire cela, moins il me coûtera d’endosser aussi cette croyance. Le rôle du groupe est donc d’autant plus important.
L’adhésion par frustration : La frustration peut avoir des conséquences positives (dépassement de soi par ex) mais aussi le sentiment chez certains le ressentiment et la conviction qu’ils méritent mieux et plus (Tocqueville et la révolution française).
Ce sentiment peut alors se convertir en un mépris du monde matériel qui les a tant déçus, lequel rend attractives les croyances en l’existence d’un monde autre, supérieur à celui des illusions terrestres, consolateur et prometteur de succès bien plus consistants.
L’écart entre ce que nous croyons possible et désirable et ce que nous propose le futur et le présent définissent l’espace de la frustration collective. Une période de crise consécutive à une longue période de croissance et de propérité entraîne un mouvement de protestation sociale menant à la révolution. De même, le taux de suicide augmente dans les périodes de crise aussi bien que dans les périodes de prospérité (Durkeim, 1979).
Un vivant quelconque ne peut être heureux et même ne peut vivre que si ses besoins sont suffisamment en rapport avec ses moyens (Durkeim)
L’association Occident-humiliation-revanche-indignité et Colonisation-esclavage-domination économique, sociale et culture serait le terreau d’un sentiment personnel d’humiliation devenant le sentiment de tout un peuple (d’une communauté).
Une des formes typiques d’entrée dans le fanatisme, bien repérée par les spécialistes du genre, est l’impression qu’a l’extrémiste de pénétrer dans le temple de la pureté le lavant ainsi de tous les péchés et les humiliations qui précèdent la renaissance, en particulier lorsqu’il s’était adonné à la petite délinquance, les violences et incivilités de toutes sortes. Dès lors, il conçoit son destin comme ayant été détourné par la perversité de la société occidentale et les contraintes sociales qui s’exerçaient sur lui, relayé en cela par les commentateurs compassionnels et une rhétorique de la victimisation
La frustration et le désir de reconnaissance forment un mélange qui pourraient expliquer des basculements.
L’adhésion par révélation/dévoilement : Il peut arriver que certains esprits prédisposés soient frappés par une coïncidence, un évènement interprêté par eux comme une injonction. Lorsque vous êtes en quête de signes, ils finissent toujours par arriver. C’est une technique que maîtrisent très bien certaines sectes.

Site du CPDSI

Bilan pédagogique du CPDSI

Article d’Egar Morin dans Le Monde.Fr

https://info-radical.org/fr/

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